Une direction à deux. La nomination d’Aina Alegre et Yannick Hugron au Centre chorégraphique national de Grenoble marque une nouvelle étape de l’histoire des lieux de création pour la danse en France. Si les gouvernances collectives se multiplient, remettant en cause le modèle unique de la direction centralisée de l’artiste tel qu’il avait été pensé à l’origine en 1984, c’est la première fois, à Grenoble, en 2023, qu’un interprète accède à la tête de l’institution en binôme avec une chorégraphe.
Forts de la singularité de leur direction bicé-phale, les deux artistes souhaitent (re)mettre la création au centre des préoccupations et des activités de l’institution, et ouvrir largement les espaces du centre chorégraphique aux différents corps de métiers qui « œuvrent » dans la fabrique : de la technicienne au costumier, en passant par la créatrice sonore, l’administrateur, l’éclairagiste, le chargé de production, la dramaturge, le responsable de la communication… Si le duo constitué par la chorégraphe et l’interprète occupe ici une place inédite, iels veulent la partager largement avec les autres « travailleur·euse·s » du geste chorégraphique, et mettre ainsi en lumière la dynamique collective qui sous-tend toute entreprise de création.
Parce que la danse a lieu partout, sur TikTok et dans la rue, dans les ballrooms et les bals folks, dans les théâtres et les musées, sur le plancher des vaches ou en altitude, l’institution ne peut pas s’en tenir qu’à ce qui se passe à l’intérieur de ses murs. Prenant acte de l’appétence des corps à se mouvoir, à circuler, à se rencontrer, à s’exprimer dans des contextes aussi variés que dans les manifestations, sur le dance floor ou sur la toile, Aina Alegre et Yannick Hugron projettent le Centre chorégraphique national de Grenoble comme un lieu de rassemblement, de circulation, d’échange, poreux aux mouvements qui secouent l’espace social.
L’inscription du Centre chorégraphique national de Grenoble dans un tissu culturel local particulièrement dense et dynamique offre à cet égard des perspectives réjouissantes de débordements de l’institution.
C’est donc un geste fort que celui d’Aina Alegre et de Yannick Hugron dans un « système central pyramidal » où le·la chorégraphe bénéficie encore du monopole du pouvoir et de la reconnaissance institutionnelle, professionnelle, publique. En se positionnant ainsi en tant qu’interprète et chorégraphe à la tête de l’institution, iels nous invitent à nous défaire des hiérarchies et à porter attention aux différents métiers de la danse. Plutôt que de penser les formes et les pratiques chorégraphiques en termes d’opposition, ou mieux de collaboration entre différentes expertises, il s’agirait de parler de danse et d’inviter toutes celles et ceux qui la font à prendre part à la discussion, à l’émulation : danseur·euse en formation, danseur·euse en création, danseur·euse en représentation, danseur·euse amateur·e, danseur·euse professionnel·le, danseur·euse assidu·e, danseur·euse en dilettante, danseur·euse piéton·ne, non-danseur·euse.
Dans un double mouvement d’affiliation et d’affirmation, Aina Alegre et Yannick Hugron proposent de reprendre l’appellation initiale du «Centre chorégraphique national de Grenoble». Ce faisant, la nouvelle direction s’inscrit dans l’histoire (locale et nationale) et dans le même temps, affiche son intention de poursuivre les engagements artistiques et collaborations menés auparavant au sein de la compagnie indépendante d’Aina Alegre « STUDIO FICTIF ».
Prendre la direction artistique comme une traversée, un passage, une transition…
Habiter l’institution comme un lieu où se déposer, où déployer, où résonner…
Et œuvrer quotidiennement à renouveler les imaginaires de ce que pourrait être un centre chorégraphique national.